Chronique

A l'écoute du Monde..... Guyane, terre de sobriété

C’est toujours au travers de sa plume bien aiguisée, tantôt acerbe, parfois tendre, mais souvent juste, qu’Yves Rinauro nous livre sa perception du monde. Voyageons, un court instant , avec lui en Guyane qu’il a surnommé « l’ Eldorado de légendes urbaines » .



Maisons à Cayenne (Guyane) Photo Fanny Boissand
Cela peut paraître surprenant que de caractériser la Guyane par ce mot de  sobriété. C’est un beau pays, et pourtant mal connu, recouvert de tant d’histoires, de tant de discours qui semblent vouloir le reléguer dans le lointain. En France, Guyane semble se résoudre en trois mots : bagne, Kourou, Cayenne. L’espace est relégué à une forêt sans fond, une verdure sans limite, précisément tout le contraire de la sobriété : majesté de la canopée, prétention à gagner la conquête de l’espace, et comme une sorte d’arrière-cours d’une métropole qui sait jalousement veiller sur ses intérêts. Ce n’est pas faux. Mais la Guyane n’est pas réductible à ces stéréotypes.
Quand votre serviteur est descendu de son avion, son ami proche, philosophe et écrivain, s’est jeté dans ses bras, au milieu de la pluie : « quand tu arrives à Cayenne, Le Très-Haut est tellement content qu’il te balance de grands seaux d’eau ! ». Je m’en étais rendu compte : il pleuvait. En avril, à Cayenne, il pleut. Pas une de ces bruines bretonnes qui ressemble à du brouillard. Pas de ces hallebardes nordiques et glacées qui font pester et refermer rageusement l’imperméable et frissonner. Non, c’est juste une grande douche : température pas désagréable, une eau qui coule sur le visage et qui réjouirait presque. Le soleil va rapidement sécher les corps et les bagages. Puis la pluie revient, toujours d’une étrange douceur.

Crique Gabrielle (Photo Ashani)
Mais alors, et la sobriété ? Elle n’est certainement pas au fond des verres de rhum La Belle Cabresse, que le même ami prépare en punch et en caïpirinha. Elle est dans ce soir qui descend brusquement, certainement dans le chant des anolis et celui des grenouilles, dans les vols de colibri dans le jardin de cette petite résidence où habite la famille de mon ami. La nuit frémit en Guyane. La sobriété se cache dans cette façon de nommer la Guyane qui se passe de la grandiloquence, et qui est le sens de la mesure. Parler de la Guyane c’est prendre le risque d’atteindre les limites de sa propre parole, de ne pas trouver les mots. La sobriété est affaire de mots, pas de paysages.
Installés depuis plus de quinze ans, mes amis ont ce profil particulier de métropolitains qui ne s’en laissent plus compter. C’est par choix raisonné qu’ils sont arrivés : elle est né allemande, berlinoise ; lui est en partie d’ascendance roumaine. Ils ont laissé derrière eux précisément ce qu’il peut y avoir d’insupportable dans les postures européennes, en particulier cette façon de parler haut et fort. Là, ils voyagent, généralement avec leurs enfants et depuis qu’ils sont en bas âge, au Brésil, en Argentine, au Surinam si proche qu’il suffit de traverser un fleuve dans ces pirogues élancées que pilotent des mariniers qui font corps avec la forêt.


Les marais de Kow (Photo Ashani)
La Guyane est une terre belle, magnifique même. Les fleuves majestueux, la forêt qui semble vouloir avancer et gagner sur la ville malgré une banlieudisation effrénée de Cayenne, la route qui longe la côte, celles qui s’enfoncent dans la forêt. Une nuit, mon ami m’a emmené sur celle qui mène aux marais de Kow, et, au milieu de nulle part, il a arrêté le moteur. Nous avons ouvert les fenêtres, et sommes restés silencieux près d’une heure, à écouter les coassements, les mouvements de feuillage dans les fourrés sur le bas-côté, le flottement d’aile des oiseaux, les hurlements des singes. Ce n’est que lorsque le feulement du jaguar a déchiré ce concert que nous avons repris la route, dans l’autre sens. Précaution pas capon, disent les Haïtiens, volontiers moqueurs, dans un de ces raccourcis que seul permet le créole.
Mais la Guyane est avant tout dans ses habitants. On ne se risquera pas ici à une quelconque répartition, qui fait immédiatement basculer dans la vulgate coloniale. Évoquons seulement la diversité. Le mot est lâche, je le concède, mais à quoi bon, encore et toujours réduire les mots à un de ces tapis d’évidences qui font le lit en général du pire. Certes, la pression migratoire est intense en Guyane : Brésiliens, Surinamiens, Haïtiens se pressent aux portes de cet Eldorado de légendes urbaines. Oui, l’or attire, et son cortège insane. Mais ce sont les langues qui frappent : étrangeté de ces parlures qui font que tout est en oblique par ici. Et les antagonismes sont sévères : parfois, on entend des discours détestables sur la côte et qui concernent les amérindiens et surtout les Boni et les Saramakas, ces descendants d’esclaves insurgés qui se sont enfoncé dans la forêt. Car, on ne le sait que trop peu. Ce n’est pas tant de l’histoire de l’esclavage dont nous devons nous souvenir, que de celle de la résistance

Eglise d'Iracoubo, peintures de Huguet
Restent que cela ne doit pas faire oublier la présence insistante de Kourou. La base de lancement des fusées est un complexe immense qu’il faut visiter. Salles de contrôle, organisation industrielle de l’assemblage et de l’installation sur le socle de lancement, souci d’un contrôle de l’impact environnemental – les guides reviennent lourdement sur ce point -, présence européenne et russe sur le site : on découvre là un espace à la fois étrange et familier et qui se veut rassurant. Et pourtant, c’est à la fois la démesure et cette face qui se veut rayonnante de l’emprise des techniques sur nos existences. On ne saurait contester l’évidence de Kourou sans se prendre les pieds dans le filet de nos propres contradictions : il y a un lien très fort entre cette immense usine et la possibilité d’en lire ici, sur l’internet, partout dans le monde, cette rapide description. Décidément, la Guyane n’est pas une terre d’aventure sans retour.
Mais il a fallu du temps et des efforts pour qu’elle s’ouvre à ces perspectives : l’histoire modernes et contemporaine de la Guyane est aussi meurtrie par le désintérêt métropolitain, qui a longtemps perduré, comme la violence exercée contre ceux qui affirmaient leur présence, et non au rabais. Guyane, en effet, c’est enfin presque une terre éponyme de la relégation. Il y en a trace partout. À Kourou, par exemple, où, au bord de la mer s’élève un monument à la mémoire de Dreyfus. Dans l’église d’Iracoubo, où un prêtre avait demandé à un bagnard de peindre l’église : Huguet le fit, et ses peintures entre art naïf et kitsch s’offrent au visiteur étonné. On dit qu’Huguet réussit un jour à prendre la fuite par la mer, et qu’il fut dévoré par les requins. C’est une légende. Nombreuses sont celles qui courent encore dans les mangroves.

Marché à Saint-Laurent (Guyane)
Mais le pire demeure à Saint-Laurent du Maroni, qui fut longtemps le point ultime du nulle part de l’empire français. Le camp de la Transportation donne à voir la face la plus opaque de la République, et sans doute la plus hideuse : ses culs de basse-fosse, ses chaines de bagnards, la folie généralisée, et sa guillotine dissimulée, mais dont les archéologues viennent de découvrir les supports au milieu de la cour.
Et pourtant, à Saint-Laurent, il y a des maintenant des cafés et des restaurants : les chasseurs viennent y prendre des verres, et raconter leurs poursuites, et donner des nouvelles de leurs chiens. Le samedi soir, les filles sont belles dans les dancings, et ceux qui les accompagnent le font avec élégance. Au bout du monde, qui n’est pas le bout, on danse toute la nuit, aussi, et l’on rentre au petit matin, avec grâce, et surtout arrosé de cette pluie qui vient comme une aubade rafraîchir les corps et les esprits un peu abasourdis.
Il faut aller en Guyane. C’est un très beau pays.

Yves Rinauro
 

www.tourisme-guyane.com/

Piroguiers sur le Fleuve Maroni (Guyane)(Photo lizabuzz.com)


21/05/2012
Yves Rinauro




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