Chronique

A l'écoute du Monde....Le printemps déçoit ? Visitez la Sibérie !

Découvrir ou redécouvrir la Sibérie ? Un pays magnifique, mal connu, perçu à travers tant de clichés. C'est ce que propose l'écrivain-voyageur Cedric Gras dans son livre "Le Nord, c'est l'Est. Aux confins de la Fédération de Russie " paru aux Éditions Phébus. Yves Rinauro l'a lu. Décryptage.



les rives du lac Baïkal dans la région de Irkoutsk. Ce lac impressionnant, le plus profond du monde, deviendrait, avec le déplacement des couches terrestres, dans des millions d'années, une mer séparant la Russie et l'Asie. (Photo D.R).
Ce printemps 2013 est particulièrement vivifiant en Europe. Loin de nous les trains surchauffés, les salades déclinées jusqu'à plus faim, les longues conversations nocturnes aux terrasses des cafés. La verdure, elle, resplendit : les arbres se libèrent de la glaciation hivernale et déploient leur feuillage de façon majestueuse, comme on l'avait un peu oublié depuis les années de sécheresse, et les nappes phréatiques ont retrouvé leur niveau maximal. On râle aussi, et le temps devient sujet à quantité de déclinaisons aussi rageuses que finalement insipides. On peut aimer que son corps soit enveloppé de chaleur, on peut aussi aimer ressentir su la peau cette vitalité sans mesure de la fraîcheur. Mais pour l'instant, la sortie des vêtements d'été des penderies ne semble pas, il faut le reconnaître, d'actualité.

1/Cédric Gras, écrivain-voyageur. Il habite et travaille à Vladivostok. 2/ Couverture de son livre " Le Nord, c'est l'Est. Aux confins de la Fédération de Russie" paru aux Editions Phébus. (photos D.R.)
Cédric Gras appartient à cette famille de voyageurs qui ont un tropisme vers les étendues qui se manifestent à l'imagination d'abord comme le monde du froid : "au plus profond de moi, écrit-il, j'aime le Nord dans tous ses états". Cédric Gras habite et travaille à Vladivostok.

Il publie cette année Le Nord, c'est l'Est. Aux confins de la Fédération de Russie (Paris, Phébus), dont le programme tient à ces quelques mots : "L'hiver ne s'est pas retiré que je suis déjà sur les routes".

C'est un très beau récit de quelques voyages qui l'ont amené à parcourir des paysages somptueux, à rencontrer des êtres en lutte contre la rudesse du climat, mais aussi l'abandon et la décrépitude. La chute de l'URSS n'a pas amélioré le sort des habitants de ces lieux dispersés, dont le tableau est parfois celui des guenilles et des lambeaux de culture et de civilisation : "la Russie a les villages les plus terrifiants qui soient. (…) La Russie expose (…) une palette richissime allant du luxe le plus inouï au complet dénuement".



Cédric Gras va encore plus loin, vers les marches : "En Russie, pour être sûr d'avoir ses confins, vérifiez :
Que la densité de vos congénères ne dépasse pas trois habitants au kilomètre carré.
Que vous vous trouvez en haute latitude et/ou altitude.
Que vous avez fait un voyage d'au moins trois jours.
Que vous distinguez mieux les étoiles".

Peuple des fils de Noum : Les Nénètses, surnommés les Princes de la Toundra car ils règnent sur les steppes et forêts sibériennes, seraient originaires des Monts Saïan de la Sibérie occidentale. (Photo D.R.)
C'est que la perception du Nord diffère. Ce point cardinal ne correspond pas tout à fait à la direction habituelle. Il existe en Russie une terminologie particulière et qui désigne des coefficients de nordicité liés à ce Nord ressenti. Tout l'Est du continent est caractérisé par un climat rigoureux, et les côtes ne bénéficient pas de courants chauds.

"Toute terre hostile est associée sans autre forme de procès au sommet de la rose des vents". Hostile ? Vraiment ? "Certains en sont pourtant bien aises de ces toundras et de ces rives lointaines. Ils aiment les paysages monotones austères et hostiles. C'est qu'ils sont propices à une certaine intensité émotionnelle".

Certes, il y a les descriptions de ce réel social et de l'appétence généralisée pour l'excessive consommation de mauvaises vodkas, et la conduite folle des camions sur la glace ou la boue, mais davantage encore le récit de Cédric Gras est bien celui d'une expérience intérieure à même de prendre en charge à la fois la solitude, la splendeur et la misère.

1/ Irkoutsk : Maison de l'Europe et Ambiance estivale dans une rue piétonne de la ville (Photos groeland-disko-pagesperson-orange.fr) 3/Paysage dans la région de l'Altaï "le belvédère de l'univers" (Photo voyagesphotosmanu.com)
Les monts Saïans, la Kolyma et ses souvenirs du Goulag comme l'aménité de ses habitants, Irkoutsk, les rives du lac Baïkal, les rives du fleuve Amour, -.. la ville de Komsomolsk, Sakhaline, Novossibirsk et l'Altaï, le "belvédère de l'univers", les volcans du Kamtchatka, la forêt quasi amazonienne peuplée de tigres et d'ours du bassin de la Bikine : voici des lieux parcourus, visités, et qui peuplent les imaginaires de nos nuits de veille et de lecture. Cédric Gras les fait ressentir non comme un merveilleux exotique mais bien comme un regard ancré dans l'intime. Il porte en lui les chansons de Vysotski à la voix rauque, les souvenirs assez fantasmés d'Ossendowski, et nous guide sur les traces de Dersou Ouzala.

Alors on comprend rapidement que le voyage a la force d'une trajectoire intérieure dont la sérénité qui émane de la personne de l'auteur renforce encore la portée : "On n'apprécie rien sans y être initié. Ce vers quoi nous porte par facilité notre envie est fait de superficialité. La rigueur et l'effort sont à imposer autant qu'à s'imposer. Et c'est sans parler des paysages. Et s'est emparée de nos êtres. Le charme est une des choses qui a été balayée avec l'arrivée des plafonds tendus et des murs immaculés, la plastique parfaite des corps de rêve et le son sans accroc des tubes musicaux. Or il faut bien avouer que pour être remarquable, ce lissage général des sens nous laisse au final de marbre et n'éveille en nous que peu d'émotions. Le glaçage de la vie contemporaine ne correspond que peu à l'imperfection essentielle de l'Homme et à son irrationalité. (…) La simplicité et la rusticité sont rassurantes".

Ce n'est pas tant ici une profession de foi que l'accomplissement d'une parole qui s'élève peu à peu, dans le cours de ce livre dont le charme, précisément, est si intense. Oui, dans le livre de Cédric Gras, le Nord se confond avec le ciel. Alors ? On le prend le train pour Irkoustk ?

Yves Rinauro
 

 


Le Transsibérien Moscou - Irkoutsk - Vladivostok - 14 jours - De Moscou à Vladivostok.Le transsibérien parcourt une distance de 9289 kilomètres et traverse huit fuseaux horaires. Sans escale, il faut sept jours pour effectuer le trajet. C’est le plus long chemin de fer au monde. ( Photo www.alestvoyages.fr/‎)


28/05/2013
Yves Rinauro




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