Reportage

Au temps prestigieux de la Vienne Juive

Vienne est sans contexte une ville à découvrir pour la richesse de son histoire et de son patrimoine. Jusqu’en 1938, cette ville a été particulièrement marquée par l’influence artistique et intellectuelle de sa communauté juive. Il suffit de se promener dans l’ancienne capitale de l’Empire austro-hongrois pour s’en rendre compte.

Par André Degon



La Judenplatz, ancien coeur de la vie juive viennoise (photo André Degon)
Dans la boulangerie sans vitrine de la rue Lillienbrunn, un vieux monsieur tend la monnaie à la vendeuse. Sur son avant-bras, au-dessus de son poignet, un numéro. Quand on lui demande pourquoi il est revenu à Vienne, ses yeux se tournent lentement :  "Après la guerre, j’attendais pour rejoindre mes enfants en Amérique, et puis le temps a passé. Je suis resté".Près de cinq mille Juifs sont revenus dans la capitale autrichienne ou sont sortis de la clandestinité après la Shoah. Cinq mille survivants sur les 180 000 que comptait la communauté en 1938.L’Histoire qu’écrivent les hommes est à la fois étrange et effrayante. Vienne compte parmi les rares métropoles européennes où les Juifs ont marqué à ce point leur cité et contribué à son essor et à  son rayonnement, que ce soit dans l’industrie, les sciences, la musique, les arts et les lettres.

Pourtant, si l’antisémitisme y fut plus virulent qu’en Allemagne, Gustav Mahler fut nommé à la tête de l’Opéra dont la femme Alma, a été  la grande inspiratrice puis la muse privilégiée des grands peintres de l’époque dont Gustav Klimt  et celle d’ Oskar Kokoschka qui la représente sur une  toile  intitulée « La fiancée du vent »  (un nom qui la poursuivra tout au long de sa vie). Sigmund Freud, quant à lui, inventa la psychanalyse, et Arnold Schoenberg le dodécaphonisme.

1/Le Madiani 2/ Boulangerie juive, 3/ A l’angle de la Zirkusgasse, la statue de Johann Nestroy, comédien et auteur populaire du XIXe siècle, semble veiller sur l’immeuble du numéro16 où vécu l’écrivain Arthur Schnitzler (Photos André Degon)
Au nord de la ville, à l’ouest de la Praterstrasse, dans le deuxième arrondissement, Leopoldstadt

Ce quartier juif a été réhabité après la guerre. Autour de Templegasse, supermarchés, boulangeries, boucheries casher servent une population dont l’origine est totalement différente de celle d’avant 1938. Depuis les années 70, les Juifs ont immigré de Russie, de Géorgie, du Tadjikistan, d’Ouzbekistan. Communauté colorée où le rite sépharade l’emporte.Ce melting-pot offre une grande richesse culturelle et le marché des Carmélites (Karmeliterplatz) est devenu un des quartiers les plus insolites de Vienne. Boutiques de vêtements branchés jouxtent galeries de peinture et restaurants géorgiens comme Madiani qui propose des khinkalis, sortes de raviolis à la viande.

En remontant la Praterstrasse, anciennement Jägerzeile (le chemin des chasseurs), à l’angle de la Zirkusgasse, la statue de Johann Nestroy, comédien et auteur populaire du XIXe siècle, semble veiller sur l’immeuble du numéro16 où vécu l’écrivain Arthur Schnitzler qui impressionnait tellement Freud que le psychanalyste ne voulut jamais le rencontrer.
 
 
 

théâtre Nestroyhof- Hamakom construit au début du XIXe siècle par l'architecte Oskar Marmorek (photo Isolde.J)
Plus loin, sur la Nestroyplatz il ne faut pas hésiter à pousser  la porte d’entrée du NestroyHof.

Cet immeuble de style Jugendstil, construit au début du XIXe siècle par Oskar Marmorek, ami de Theodor Herzl, cache un vrai trésor : au rez-de-chaussée, se trouve les restes du Théâtre Juif de Vienne. Le plafond de verre, le balcon aux rambardes rouillées, les murs souillés sont en cours de restauration. Ce théâtre qui est en train de renaître de ses cendres sous le nom de théâtre Nestroyhof- Hamakom (www.hamakom.at ), est réutilisé comme centre culturel.

Dans les années 30, sous le nom de Reklame, le théâtre était le rendez-vous des auteurs viennois, un centre de créativité international,. Une association s’est battue pour sa réouverture.

La Czerningasse, à droite du NestroyHof devrait être empruntée religieusement par tous les visiteurs. Dans cette rue, Alfred Adler, fondateur de la psychologie individuelle, qui ne suivit pas la même direction que Sigmund Freud, ouvrit un cabinet de médecine générale pour les plus démunis.

Sur le trottoir opposé, est né et a travaillé jusqu’en 1942, avant d’être déporté, Viktor Frankl, le père de la logothérapie dont la vie fut exceptionnellement riche. D’une grande sagesse, cet homme fut reconnu et respecté dans le monde entier  pour sa pensée.
 
 

1/La grande roue sur le Prater( Photo J.Thuault) 2/Synagogue Joseph Kor, une merveille de style Biedermeier 3/ Juif religieux du quartier de Leopoldstadt (Photos André Degon)
A la sortie de Czerningasse, on débouche sur le Prater

Ce gigantesque parc public de 1 300 hectares, ancien terrain de chasse des Habsbourg est dominé par la mythique grande roue, haute de  65 mètres, où se rencontrèrent l’espace d’un film, Le troisième homme de Carol Reed, Joseph Cotton et Orson Welles.

En redescendant vers la Schwedenplatz, commence le premier arrondissement. Après la Salztorgasse où se trouvent, au numéro 6, les bureaux de Simon Wiesenthal le chasseur de nazis disparu il y a plus de six ans ans, la Seitenstettengasse abrite le centre de la vie juive, le lieu où sont regroupés le rabbinat de Vienne et d’Autriche, le siège de la communauté, les œuvres sociales et la synagogue Joseph Kor, une merveille de style Biedermeier. Construite en 1824, c’est la seule qui n’ait pas été incendiée lors de la Nuit de cristal, du 9 au 10 novembre 1938.
 

1/Architecture quartier Wipplingerstrasse 2/Judenplatz Museum Mémorial victimes de la shoa/ 3 Monument sur la Judenplatz édifié en mémoire de la paix contre la guerre et le facisme (Photos André Degon)
 En pénétrant plus profondément dans la vieille ville par la Judengasse, on découvre l’ancien hôtel de ville sur la Wipplingerstrasse qui fut, au XIVe siècle, la demeure d’un certain Otto Heimo dont la maison fut confisquée pour cause de complot contre les Habsbourg. Au XIXe siècle, les services de la ville furent transférés dans le nouvel hôtel de ville de style néogothique inspiré de celui de Bruxelles. L’ancien hôtel de ville héberge le centre de documentation de la résistance autrichienne. On peut visiter l’exposition permanente qui évoque la période 1934-1945 ainsi que le rapport équivoque de l’Autriche avec le national-socialisme.

A quelques pas, la Judenplatz fut le centre de la première communauté juive qui s’installa au Moyen Age et vécut intra-muros jusqu’au pogrom de 1421. En 1995, des fouilles ont mis à jour, sous la place, les restes de la plus grande synagogue d’Europe à cette époque. On peut y accéder par le Judenplatz Museum consacré à cette communauté. Sur cette belle place, au numéro 3, où vécu Mozart après son mariage avec Constance Weber .
 

1/Palais Ferstel (photo polir.bogspot.com) à l'intérieur du Palais se trouve le passage Freyung et le célèbre Café Central (Photos André Degon)
Le  Palais Ferstel abrite une élégante galerie marchande, le Passage Freyung et le célèbre Café Central


Après avoir traversé Bognerstrasse, à l’angle de l’aristocratique Herrengasse et de la Srauchgasse, le palais Ferstel (XIXe siècle) abrite une élégante galerie marchande, le Passage Freyung, ainsi que le célèbre Café Central, rendez-vous privilégié des maîtres à penser de la modernité viennoise entre les deux guerres. Autour des petites tables en marbre se retrouvaient Hermann Bahr, Arthur Schnitzler, Karl Kraus, Arnold Schönberg, le poète Peter Altenberg. Dans Le Monde d’hier, Stephan Zweig décrit ce café comme « une sorte de club démocratique accessible à tous pour une modique tasse de café où chaque client peut, moyennant cette minuscule obole, rester assis des heures durant, discuter, écrire, jouer aux cartes, recevoir son courrier. »

Tout ce que Vienne comptait de célébrités et de penseurs se retrouvait dans ces cafés ou dans les salons de la bourgeoisie juive comme celui de Berta Zuckerkandl au-dessus du Café Landtmann, situé sur le Ring. Sur ce grand boulevard circulaire, beaucoup de Juifs enrichis construisirent des demeures que l’on peut encore admirer : le palais Todesco près de l’Opéra, le palais Epstein de style Renaissance qui abrita le commandement soviétique après la guerre, le palais Ephrussi.

Portrait de Sigmund Freud (photo Ike) proche du Ring, au 19 de la Berggasse, se trouve la maison que Freud a occupé pendant près d'un demi-siècle (photos André Degon)
Pélerinage dans l'ancien appartement de Sigmund Freud



C’est proche du Ring, au 19 de la Berggasse, que se trouve, dans une belle maison bourgeoise, l’ancien appartement qu’occupa, pendant près de cinquante ans, Sigmund Freud avant de fuir le régime nazi en 1938. Nombreux sont les visiteurs qui viennent du monde entier en pèlerinage s‘imprégner de ce lieu où est née la psychanalyse.

Dans cette rue tranquille, devant l’entrée, des bancs ont été installés. Chacun peut faire une pose, se demander comme tout cela fut possible ?

Comment une capitale superbe, impériale a-t-elle pu sombrer, s’amputer de ses élites. Derrière les belles façades, il n’est pas sûr que l’on ait la réponse.
A.D.



1/de gauche à droite Gustav Mahler,Alexander Zemlinsky, Arnold Schönberg et Franz Schrecker/ 2/ Peinture "Adèle" de Gustav Klimt/3 Peinture " La fiancée du Vent" d' Oskar Kokoschka en souvenir de sa passion pour Alma Mahler/4 Alma Mahler en 1899.
Nombreuses sont les personnalités du monde des sciences, des arts et  lettres qui ont marqué l'époque d'avant-guerre de la  Vienne Juive, parmi elles on peut citer les noms prestigieux de :

Wittgenstein, Viktor Frankel, les prix Nobel Bàràny et Loewi, Sigmund Freud, Alfred Adler, Samuel Oppenheimer, Gustav Mahler et sa muse Alma Mahler , Arnold Schönberg, Oscar Straus, Arthur Schnitzler, Stefan Zweig, Franz Kafka, Josef Roth, Vicki Baum, Egon Friedell,Gustav Klimt , Oskar Kokoschka,Martin Buber, Theodor Herzl, Max Reinhart, Billy Wilder, Fred Zinnemann, Otto Preminger...
                                  




Petite balade en calèche
Plus d'infos

Y aller



Si toutes les grandes compagnies proposent Vienne,  la low cost autrichienne FlyNiki offre un rapport qualité-prix imbattable au départ de Charles-de-Gaulle, à bord d’Airbus A320 tout neufs. A la différence des autres compagnies à bas coût, couvertures, oreillers, magazines, excellents sandwichs (n’est-ce pas Air France !) et boissons sont offerts. En s’y prenant  à l’avance, on peut acheter un Paris-Vienne AR pour  120 euros.

www.flyniki.com ..  

Où se restaurer ?

Österreicher im Mak,  Stubenring 5. Tél. : 714 01 21.
 Helmut Österreicher propose, dans sa grande salle à l’architecture très dépouillée ou sur sa belle terrasse au pied du musée des Arts appliqués (Mak), une cuisine à deux registres : soit traditionnelle, soit traditionnelle réinterprétée. Österreicher est un grand et mérite largement sa reconnaissance. Son Bachsaibling (truite de torrent) est un pur régal, de même que ses joues de veau aux épinards. Compter 18 euros en moyenne pour un plat.
 www.oesterreicherimmak.at .

Le Würsteland
Comme les cafés, les kiosques à saucisses chaudes (würsteland) sont une institution.
Le plus connu : le Würsteland sur le Hoher markt.
Pour goûter une tiroler ou une somptueuse käserkrainer croulant sous le fromage.
 
Le temple de la schnizel
Figlmüller, Bäckerstrasse, 6. Tel. : 512 61 77.
La légende raconte que l’escalope viennoise fut inventée en 1905 par Figlmüller. Alors il faut se précipiter dans ce restaurant traditionnel pour la goûter avec l’incontournable « kartoffel salat ». Taille et qualité sont au rendez-vous.

Les Heuriger et le vin viennois
Phénomène unique pour une capitale, Vienne possède sept cent hectares de vignes plantées essentiellement en blancs (grüner veltliner, riesling, pinot blanc...) et en rouge (zweigelt). Un grand nombre de tavernes rustiques (Heuriger), véritables institutions, proposent des dégustations dans les faubourgs viticoles, notamment à Döbling et Grinzing. Quatre jeunes vignerons passionnés (Fritz Wieninger, Rainer Christ, Richard Zahel et Michaël Edlmoser) se sont regroupés sous le label Wienwein  pour tâche de redonner une qualité au vin de Vienne, notamment au Gemischter Satz, un grand classique. Excellent résultat notamment pour le Chardonnay 2006 de Weininger où sa Wiener trilogie 2006 en rouge (cabernet sauvignon, merlot et zweigelt).
 www.wienwein.at

Quelle heuriger ?

Weingut Reisenberg, Oberer reisenbergweg 15. Tel. : 320 93 93.
Entre Grinzing et le terminus du bus 38A à Kahlenberg (484 m), une superbe terrasse avec la vue sur toute la ville.  S’arrêter à Cobenzl et descendre le chemin dans les vignobles. Bon vin de soif, buffet traditionnel (rôti de porc, knödel, schnizels). Compter 20 euros avec le vin. La Locanda au-dessus du lounge est plus simple et plus conviviale.
www.weingutamreisenberg.at . .









1/ Hôtel Altstadt Vienna /2/ Petit déjeuner viennois
Où séjourner :

Hollmann Beletage, Köllnerhofgasse, 6. Tel. : 00 43 1 96 11 960.
En plein centre, près de Schweden-platz (terminal des bus de l’aéroport), à deux minutes de Stephanplatz, ce boutique-hôtel très design a été ouvert en étage, dans un immeuble Art-nouveau de 1894. Les pièces communes sont dans les tons orange, la déco très années 60. Chambres, 159 à 300 euros pour deux. Location de vélos, cinéma.
 www.hollmann-beletage.at .





 Altstadt Vienna, Kirchengasse, 41. Tel. : 00 43 1 522 66 66
Otto Wiesenthal, collectionneur de tableaux, s’est fait un grand plaisir, il a acheté cet immeuble bourgeois qu’il a transformé, avec l’aide de l’architecte italien Matteo Thun, en un petit hôtel plein de charme, très Belle époque, illuminé par ses collections. Bel agencement des couleurs. Grande recherche dans la déco trendy-branchée. Accueil très chaleureux. Altstadt Vienna est situé à cinq minutes du Museums-Quarter sur le Ring ouest. Chambres à partir de 145 euros pour deux.
www.altstadt.at ..

Les adresses à ne pas manquer :

 Demel, Kohlmark, 14. Tel. : 535 17 170. Autrefois confiserie impériale et royale célèbre pour sa glace mauve à la violette. Cette pâtisserie est célèbre pour la qualité de ses gâteaux (mieux que la Sacher torte) et le charme de son décor.
 www.demel.at
Loden Plankl, Michaelerplatz, 6. Tel. : 533 80 32. Incontournable depuis 1930 pour les célèbres loden autrichiens
 www.plankl.at
 Zum Schwarzen Kameel (au chameau noir), Bognergasse, 5 (près de Stephansplatz) 
Tel. : 533 81 25. Connu pour la qualité de ses sandwichs et de son jambon fait avec des porcs de la région de Niederösterreich.
Lederleitner, Schottenring,16. Etonnante boutique pour le jardin et la maison, située dans les sous-sols de la bourse. Contigu, le restaurant Hansen (tel. : 532 05 42 10) pour un casual business lunch avec ces messieurs les traders.








Musée de la Judenplatz (photo André Degon)
A voir également

Le musée juif, palais Eskeles, Dorotheergasse 11. Totalement rénové,
le bâtiment abrite les collections sur trois niveaux.
 www.jmw.at .
Musée de la Judenplatz, Misrachi-haus, Judenplatz 8. Reconstitution de la vie juive au Moyen-Age,
visite virtuelle de la Vienne au XIXe siècle, vestige de la synagogue du Moyen-Age.
La Grande Synagogue, Seitenstettengasse 4. 
www.ikg-wien.at
Visites guidées uniquement.
Du lundi au jeudi de 11h30 à 14h.
Le Centre Arnold Schöneberg, Schwarzenbergplatz 6. Du lundi au vendredi de 10h à 15h. Expositions,
peintures, archives sur la vie de l’artiste.
 Le cimetière central de Vienne, notamment la section juive dont les tombes où reposent un grand nombre de personnalités sont souvent en mauvais état (pendant longtemps un contentieux opposa la municipalité et la communauté. Avec plus de trois millions de tombes, ce cimetière est le plus grand d’Europe. On le visite en minibus. Intéressant notamment pour les réalisations architecturales de style Art nouveau.
 


Office de tourisme de Vienne
www.autriche.com/regions/vienne.html
Office national autrichien du tourisme,
tel. : 0811.60.10.60.
 www.austria.info/fr

La célèbre roue du Prater près du quartier juif de Leopoldstat (photo office de tourisme autrichien)


27/01/2013
André Degon




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