Le Manoir enchanté

Hamac ou canap’ ? A… Canapville (Calvados), la question se pose puisqu’on y a le choix de se la couler douce entre deux arbres du parc ou face à la cheminée. En tout cas, le décor est planté : chez les Corneille, on sait ce qu’art de vivre veut dire tant en version été qu’en mode automne dans le salon… Corneille !

Les Corneille ? Oui, chez Marie Corneille et son frère Pierre, qui, entre deux actes parisiens, séjourna là trente ans durant, de 1638 à 1668. Ni plus ni moins que l’illustre Corneille dont les œuvres novatrices et le génie littéraire ont profondément contribué à façonner le théâtre et la littérature française. Un dramaturge né à Rouen et très attaché à cette Normandie où il aimait se ressourcer, dans ce manoir construit route de Pont-l’Evêque à Deauville, en 1540.

Lequel, idéalement situé entre mer et campagne, s’appelait alors Manoir de Prétot. Sa très verticale façade principale, orientée vers le midi sur trois étages, est entièrement conçue en pans de bois dressés sur un muret de pierre et de brique, les poteaux de forte section délimitant six travées. Les colombes, très rapprochées les uns des autres, témoignent de l’aisance du bâtisseur.

Une aisance qui, passée la lourde porte ouvragée à merveille, s’exprime dans le hall par une massive balustrade en chêne, encerclant l’escalier aux marches de tommettes, tandis que le salon à haut plafond capte le regard par sa grande cheminée de pierre, face à laquelle on imagine le pionnier de la tragédie française se griser d’un vieux calvados.

De l’eau a depuis coulé dans la Touques voisine, le manoir ayant notamment été une maison de marins pêcheurs, puis une école, avant de devenir une dépendance agricole. Une photo d’après-guerre le montre tombant en ruine, lavant que le couple Poilleux ne redonne, dans les années soixante, un avenir à ce chef d’œuvre en péril. Il sera classé Monument Historique en1995, à l’issue d’une parfaite restauration.

Si parfaite que le groupe français Buildinvest acheta le domaine en 2017 afin de le convertir en hôtel de charme. Spécialisé dans la rénovation de bâtiments anciens pour le placement d’investisseurs, ledit groupe avait déjà fait ses preuves dans d’innombrables centres anciens, notamment face au pittoresque port d’Honfleur, où ont été rénovées une cinquantaine d’anciennes maisons de pêcheurs.

Joli trait d’union entre le passé et le présent, désormais membre de la belle collection de boutique-hôtels Small Luxury Hôtels of the World, ce bien nommé Manoir des Portes de Deauville se compose de sa bâtisse principale et de neuf dépendances transformées en cottages, pour une offre de vingt-sept chambres et d’un espace détente avec piscine extérieure, jacuzzi et hammam, au sein d’un parc verdoyant de 2,5 hectares, avec mare aux grenouilles et verger de pommiers.

Un site d’art de vivre où l’on peut même s’offrir un « un « massage voluptueux » (« parenthèse associée à la bougie, nourrissante et revitalisante ») ou un « massage tonifiant » (« parenthèse alliant gestes profonds et évasion absolue »), la « belle clientèle », étrangère à quelque 40%, appréciant aussi le havre de sérénité qu’est le salon Corneille, où l’on peut goûter aux quatre fromages de Normandie autour des fameux cidres de la maison Bréavoine. La pomme est aussi mise à l’honneur avec une dégustation la déclinant en fruit frais, compote, tarte, jus pétillant, cidre et calvados.

Pas de restaurant par contre sur le site même, une bonne table étant accessible à pied en une minute, à moins de gagner en dix la mythique Deauville, où les mardis, vendredis et samedis matin, il fait bon remplir son cabas sous les belles halles en colombages. Un marché certes « bobo » d’appellation contrôlée, mais où l’on vend encore d’authentiques produits d’ici. Olivier Boutard, « fier d’être paysan », y remplit même des pots d’une crème fraîche à se damner, tandis que la maraîchère à l’ancienne Josiane Le Roy, du haut de ses 78 ans, « offre » ses salades à 1€ pièce. Et à deux pas de là, près de l’hôtel de ville, qu’il fait bon ensuite s’attabler sur les mange-debout de la poissonnerie Morny, où le bon Loïck vous met la Manche à la bouche, sourire compris, avec des huîtres de pleine mer tout justes débarquées de Blainville.

On aura compris que ce Manoir des Portes de Deauville a tout pour plaire et qu’il donne une réplique positive à la fameuse tirade du « Cid » : « Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie ! n’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? ».

Les Manoirs des Portes de Deauville
30, route de Pont-L’Evêque. 14800 Canapville
www.portesdedeauville.com
02 31 65 65 18
reservation@portesdedeauville.com